
Entre Suède et Corbières avec Livia Ante
à la Maison du Chevalier
Livia Ante est une fille du Nord. Roumaine de naissance et scandinave
d'adoption, son histoire d'amour avec la France a commencé dans les années 70.
Baroudeuse dans l'âme, elle décide un beau jour de déposer ses valises à Paris.
Mais très vite, comme pas mal de ses artistes d'amis, la tentation d'une
expatriation vers le Sud la ronge. La voilà dans nos contrées méditerranéennes, ou
elle participe a la création de la fameuse Forge de Sainte-Colombe-sur-l ‘Hers.
Une personnalité bien trempée la pousse rapidement vers une solitude
créatrice, qu'elle choisit de faire fructifier dans un atelier installé à Roquefort des
Corbières, village pittoresque s'il en est, niche’ au pied d'une falaise comme seules
les Corbières ont su en enfanter. Certes, Livia n'a pas complètement rompu avec
ses racines, puisqu'elle partage son temps entre Nasksov et Roquefort. Mais ses
œuvres sont marquées par l'esprit latin, car elle se fie, pour peindre, a son instinct
et a ses émotions. Et ses toiles, présentées a la Maison du Chevalier, s'en
ressentent. Des reflets de son identité et de son caractère, à l'état pur. La belle
artiste croit en l'art et ça se voit. Arches d'églises oubliées, impressionnantes
cascades norvégiennes, tout est force et harmonie a la fois dans sa peinture.
A Carcassonne, ou elle est l'invité exceptionnelle de la Maison du
Chevalier, ses œuvres les plus récentes sont exposées... Un voyage bienfaiteur
entre deux mondes dépouillés, celui, froid de l'Europe du Nord, et les terres arides
des Corbières.
(Extraits de presse, mai 1997)
Géographie de l'imaginaire
Si LIVIA nous laisse flotter entre terre et ciel, dans un espace anonyme
bien que familier et dont nous ne pouvons qu'évaluer vaguement l'altitude, elle ne
laisse de plus jamais percevoir sous quelle latitude elle se place. Les chaines de
montagnes qui s'érigent accidentées et désertiques peuvent prendre racine aussi
bien dans les Alpes qu'ailleurs. Ce paysage qui déroule ses pics et ses océans peut
en rappeler d'autres, mais n'en signifier aucun avec certitude. Géographie de
l'imaginaire, paysage symbole donc, auquel substitue l'autre, celui que chacun
porte en soi, qui selon les individus prend des visages différents, et se révèle ici
terre vierge et inaccessible: encore a explorer ou déjà délaissée?
L'homme s'est élevé pour échapper a quelque péril, ou tenter de capter
globalement son monde et ne plus se cogner contre les murs de son labyrinthe.
Homme-oiseau, Icare se réveille dans nos mémoires. Une précédente série de
Livia tentait d'interpréter ce même thème, mais sous un aspect plus anecdotique.
Aujourd’hui l'artiste a en quelque sorte intégré 1e personnage d'Icare, elle s'est
glissé dans sa peau. Le dédale est en dessous, dans l'enchevêtrement de ses
roches, crevasses, gorges profondes, mers insondables... .
Pour rester proche de la mythologie, pourquoi ne pas évoquer Pénélope
qui n'en finit pas de tisser la même toile puisque celles de Livia ne sont qu'un seul
et même ouvrage qui s’étire dans le temps, qui n’a ni début ni fin, et trace dans son
désir d'absolu une idée d'éternité. En effet, tout dans ce travail est suspendu,
fuyant.

Une vision originale, d'une puissante vitalité
ANTE, Livia. Peintre, scénographe, graphique publicitaire. Née le 8
février 1955 à Ploiesti, Roumanie. Diplômée de l'Ecole Supérieure d'Arts Appliqués Duperre
à Paris, en 1974 et de l'Ecole Nationale Supérieure d'Arts Décoratifs de la rue d'Ulm, à Paris,
en 1976 (ateliers M. Rohner et J. Despierre, spécialite d'art mural). Quitte
définitivement la Roumanie en 1971. En 1976 elle s'établit à Stockholm où elle acquiert la nationalité suédoise. En 1983 elle revient et se reinstalle à Paris. Première exposition personnelle à Stockholm
en 1979, suivie de deux autres aux Pays-Bas et en France. Participe à 11 expositions de
groupe en France, Suède et aux Pays-Bas de 1975 à ce jour. A fait des décors pour
la Télévision suédoise de 1977 à 1979, pour l'Opéra Royal de Stockholm de 1980
à 1983, pour le Théâtre du Lucernaire à Paris, pour la Maison de la Culture de
Nanterre, la Compagnie Franck Gilles, etc. A réalisé la conception
artistique et des maquettes pour l'exposition L 'Art Slave à l'UNESCO à Paris ainsi
que l'affiche Musardez aux Musées pour la Ville de Paris. Ses œuvres se trouvent
dans des collections publiques et particulières en France, Suède et aux Pays-Bas.
Vit et travaille à Evry.
Fiche critique. J'avoue avoir subi le charme des peintures-fleuves de
Livia Ante, qui présentent une nouvelle vision aérienne, légère et audacieuse de
l'espace terrestre. On ne regarde pas ces paysages, on les parcourt dans leur
écoulement où le temps devient une présence, où la terre et la mer semblent
appartenir à un monde enchanté que l'on survole avec émerveillement.
"Mes paysages sont une série cursive de brèves séquences comme les
images d'un film qui se déroule devant nous, déclare l'artiste. J'aime a me
promener 1e long de mes paysages imaginaires et ales découvrir au fur et a mesure
que je suis en train de les peindre. Ils n'indiquent pas des directions ou des
chemins, mais invitent le spectateur a une contemplation active, a un libre
parcours. La série de l'Archipel a une longueur de 12 mètres. Elle ne peut pas être
vue d'un seul coup mais chacun peut 1a regarder a sa guise. Je suis libre d'élargir
encore davantage cette peinture avec de nouvelles sections intercalées dans
n'importe quelle direction, car je veux créer un ouvrage sans commencement ni
fin, que l'on puisse saisir en marche et dont les séquences aient une totale
indépendance aussi bien dans leur ensemble que chacune prise séparément. Pour
moi, la peinture n'est pas le résultat des impressions déjà perçues et vécues, mais
une vraie aventure dans l'imaginaire".
Vues dans une perspective plongeante, les montagnes, les iles de
I ‘Archipel et les eaux de la mer d’un bleu intense ou d'un blanc écumeux et
ensoleillé sont toujours en mouvement, se suivent et s'enchainent, mues par une
poussée intérieure, par la respiration géologique de la terre, dans cet espace-temps
réalisé par l'artiste dans une suite d'images, ou le fantastique prend 1e visage de la
réalité. Livia Ante n'a pas besoin de recourir aux exagérations ou aux
extravagances des mouvements d'avant-garde contemporains. Elle apporte une
vision saisissante et originale, d'une puissante vitalité, d'une incontestable
modernité, en restant fidèle a l'image de la réalité et en offrant en même temps au
spectateur une invitation au voyage au pays de l'imaginaire.
Ionel Jianu, Les artistes roumains en Occident, p.20

L'alliance entre l'incandescence méridionale et la rigueur septentrionale
Etrange alliance entre l'exubérante incandescence méridionale et la
rigueur septentrionale, presque géométrique, la peinture de Livia Ante est, avant
tout, une fenêtre ouverte sur les profondeurs de nous-mêmes. Même la nature, où
prévalent la pierre et le feu, représente pour l'artiste un paysage intérieur, une
“géologie” de l'âme avec ses hauts et ses bas, une recherche inassouvie de la
spiritualité. La chromatique, vive, forte, parfois violente, possède quelque chose
de la riche polyphonie des orgue: la même force d'interrogation religieuse sur 1a
vie. Une magicienne de la pétulance des formes et des cavalcades chromatiques
dont la rétine a été, pour 1a première fois, stimulée par le mirage de la lumière, si
caractéristique du lieu d'origine de Livia Ante. Par la suite, le destin l‘a conduite,
sur les chemins de la planète et des autels de démiurge, lui faisant caresser,
d'abord, la virginité des toiles puis offrir, dans son sillage, des univers de pensées
et des déploiements de couleur. Depuis longtemps, Livia Ante appartient au
monde si l'on pense aussi bien à ses itinéraires qu'à sa confirmation artistique , sa
maîtrise engendrant des univers animés par la respiration de “l'au-delà” et faisant
fructifier d'une manière originale la géométrie sage des dimensions “de ce côté-
ci”. Son art, mural ou décoratif, appliqué ou de chevalet, dégage certitude
géologique, sensibilité féminine, sagesse métaphorique. On acquiert le sentiment
que le plasticien a vécu, au début, le tourbillon en kaléidoscope d'une expansion
des formes, puis la rétraction vibratoire des apaisements de couleur, pour enrichir
enfin le sanctuaire de son être de ce qu‘elle a le plus estimé et garder pour soi-
même la course cosmique des deux cavalcades.
La Fenêtre constitue semble-t-il un “Art poétique” convaincant: un
abrégé d'ontologie qui ne néglige aucune dimension ni signification, aucune
vibration chromatique ni forme virtuelle. De là, l'absence de toute profusion de
surface plastique ou cordialité de crayonnage. L'œuvre équivaut à un quasar
intime, auprès duquel on est passé plusieurs fois et qui est à présent fixé dans un
cadre imaginaire par l'auteur. Un quasar absorbant les couleurs et les sens, fuyard
arrêté devant une fenêtre qui, éprouvant une telle hypostase inédite, a adapté toute
sa structure et son fonctionnement à cet effet. Ainsi, elle est devenue plus ouverte
au lointain et plus pointue au premier plan. Une fenêtre qui, en conséquence,
n'envoye pas mais invite les espaces, les reçoit, bien plus n'élargit les horizons,
même au prix de la métamorphose de sa propre finalité.
En Aurore boréale, l'auteur concentre et localise sa thématique. Le
même langage angulaire, préférant les ouvertures plus intimes, ainsi que la même
Déclaration subjective sur l'originalité des couleurs, se dégagent au premier
abord. Le dialogue entre l‘orthogonal et la triade est entamé en “forte”, semblable
à antithétique floral des Anémones de Luchian. Ici aussi, l'absence directe du
corps humain donne l'impression duale qu'on se trouve soit dans un stage de
genèse, soit dans un stage de dissolution d'un possible univers dominé par la
métalogique de l‘existence. Le cartésianisme itératif de l‘œuvre n'affecte en rien
l‘aspect plutôt imprécatoire qu'exégétique de la tragédie d'Eschyle. Et on dirait
qu‘un autre état à des profondeurs d’Eliade s‘insinue grâce à la métaphore
platonicienne du Mythe de la Caverne, une caverne sur l'écran de laquelle une
multitude d'angles s'entrecroisent pour crayonner ces “copies de deuxième
degré” de la réalité.
L'ouvrage Intérieur d'église prouve un “état civil” plus distingué encore.
Un espace sacré où les genoux n'embrassent plus la matière tellurique, où le
regard ne s'assagit pas à la frontière du “Grand Anonyme”, d'un autel, et où un
brin de sublime de nous-même ne se pulvérise pas, jusqu'à la fusion avec
l'univers, géometrisé mais divin, de l‘intérieur. Cette fois-ci, la prière, humaine ou
pas, signifie un vol sans arrêt, qui commence avec une évasion dantesque depuis
l'au-delà de l'ogive et continue avec la transposition “Sine tempo”, à l'infini. Un
Catéchisme singulier, sans iconostase, encourageant une grande décision de
l'être humain à fusionner avec l'espace édénique. Une vision cérébrale, un
badigeonnage de “vidéo-clip” et une chorégraphie chromatique féminine
définissent l'art, si original, d'une représentante sensible de ce carrefour dessiècles.
Seule, tu flottes à travers les arcs-en-ciel de lumière / ateliers suspendus /
maîtres égarés / souvenirs, paroles. . ./ main inhabile tâtonne / le vert, le rouge / et le
bleu. / Seule / aux yeux grand-ouverts / tu continues à peindre / en blanc.
Gheorghe A. M. Cioban
L'amour à mort
Des paysages montagneux à la vision de la tauromachie
"Lorsque le taureau entre dans l’arène, il ne sait pas ce qui va lui arriver, il
est inconscient de son avenir. Il est, sur ce plan-là, très comparable à l’artiste.
C'est avec ces mots que Livia Ante explique son attrait pour la tauromachie. Elle
s'identifie au taureau, fascinée par le combat et le rapport de force qui émane d'une
corrida. Grace a sa formation de graphiste, elle maitrise 1e cadrage de ses œuvres,
et montre ainsi l'essentiel, a l'aide de quatre éléments : le toréro, 1a cape, le taureau
et l'arène.
Elle met en évidence la beauté de l'affrontement, avec la cape pour
intermédiaire, et l'arène comme décor, plutôt omniprésente, créant une situation
indéfinie entre l'homme et l'animal; on ne sait pas qui va gagner. Le dessin, centré
sur le contact corne-abdomen, montre la puissance des deux forces qui s'affrontent,
dépassent du cadre, explosant hors du tableau. C'est la ronde infernale de la
tauromachie, tout le caractère sacré du gestuel et l'exploitation des coups du
pinceau qui rendent cette sensation de sang, de violence et de mort. Ici, on aime le
taureau, on aime le toréador, et malgré 1e débat pour ou contre la corrida, les toiles
de Livia Ante ne laissent personne indifférent.
De Bucarest a Malmoé : de plus, on peut découvrir les paysage qu‘elle a vus
et aimés, et qui sont aussi les nôtres. Un paysage se déroule ainsi sous nos yeux ou
s'érigent des montagnes accidentées et désertique. Paysage symbole que l'on ne.
peut rattacher avec certitude, car cela peut être les Alpes, les Pyrénées ou l'Oural.
Géographie de l'imaginaire où chacun retrouve ce qu‘il porte en soi. La peinture
n'est; ici, qu'un support d'une lente métamorphose qui s'élabore ailleurs, au cœur
du spectateur qui peut ainsi voir ce qu‘il veut. Livia Ante, née en Roumanie, donne
ainsi un habile mélange des nordiques et de la chaleur des ambiances des férias.
(Carcassonne, Midi Libre, 15 mars 1989)
Le cercle magique
Certes, il faut entrer dans l’arène avec le taureau, nerveux, ramassé,
solitaire faisant face tété haute, œil luisant, aux rumeurs de la foule en attente de
la cérémonie "sacro—sainte", cette corrida ou flamboie 1e rituel mais ou le sang
n'est pas épargné. Il faut, s'assimiler, s'identifier a la bête fauve comme le fait
Livia Ante "sauvagement" agrippée a son art dans un rapport de forces du travail
de sa création. Combat mythique de deux règnes animaux, différents. Solitude de
l'artiste face a la société. Combat âpre qui exige du matador fermeté d'âme,
Vigueur du bras et, dans la beauté du geste, une certaine lenteur hiératique. Ce
contraste avec l'ardeur bouillonnante du taureau, sa noblesse courageuse, donne
son étrange saveur, sa signification d’antithèse dans l'acte tauromachique si bien
exprimé par Livia Ante (en noir sur blanc: gouache, fusain, acrylique) au fil de
compositions dont la Vigueur et le mouvement s'allient a une rigueur dépouillée
assez bouleversante. Même les adversaires de la corrida, dont nous sommes,
admirent en toute objectivité.
Et puis, i1 y a ces paysages (pastel), une échappée vers l'imaginaire a
travers le réel reconnu, entrevu ou peut-être rêvé dès les premiers temps de la
genèse.
Il faut absolument visiter cette prenante exposition... (M.C.)
Art l'Espace Gambetta, Carcassonne,
L'Indépendant dimanche, 12 mars 1989)

Les rêves de Livia Ante
Il y avait beaucoup de monde, mercredi soir, a l'espace Gauthier, chez 21
Marie Françoise Aussilloux et Magali Bousquet. Il faut dire qu'elles accueillaient
dans leur galerie d'art contemporain une artiste qui soulève l'admiration: Livia Ante.
Cette suédoise née en Roumanie exposera durant un mois, 40 tableaux
d'art abstrait dont le thème principal est la montagne. "Ces rêves de montagne
emplis de racines emmêlées, de musc, de lascis et d'eau", comme en parle Jean-
Marc Tilcké lui ont été inspires par son amour de ces lieux et les paysages qu’elle a
pu côtoyer de Bucarest a Malrnoe jusqu'en France on elle vit depuis 83. Au hasard
de ses toiles, on découvre sa passion et ses clins d'œil envers les impressionnistes
(couchants de soleil) ainsi que sa vision des paysages régionaux comme l'Œil Doux.
Depuis 75, ses pastels, fusains et autres acryliques ont eu les honneurs de
grandes expositions (Paris, Stockholm, Eindhoven, Anvers).
Lors du vernissage, ils étaient très nombreux à avoir répondu présent a
l'invitation: autour d'élus de la région, des autorités culturelles régionales de
personnalités du monde artistique, de directeurs de galeries, on reconnaissait
MM. Mecle et Moynier (adjoints au maire de Narbonne) et Mlle Demore
Narbonne Culture Communication.
(Le Monde, Narbonne, nr. 8161, 1990)
Livia Ante: la magie de l'authenticité
Beaucoup de monde, vendredi des 18h, à l'Espace Gambetta ou avait lieu
le vernissage des œuvres de Livia Ante, artiste-peintre née a Ploiesti (Roumanie),
nationalité suédoise, et résidant actuellement à Sainte-Colombe-sur-I ‘Hers.
Parmi cette assistance fort nombreuse ayant répondu a l'invitation de Jean-
Marc Tilcké, on notait la présence de personnalités politiques de tous les bords,
constatation réconfortante puisque la culture digne de ce nom ne demande pas
d'étiquette et cette exposition d'une extrême qualité méritait‘ un intérêt "sans
frontières".
Tel était le cas, semble-t-il, puisque les toiles, la pluspart grand format
(environ 2,50 m) séduisirent a l'unanimité’ ce public et provoquèrent un coup de
cœur ou de saisissement spontanés. En bref nul ne put rester indiffèrent a ce réel
talent féminin doué d’une maestria extraordinaire dans la puissance du
.mouvement et l'élaboration des teintes. Toute une continuité de rythme, une
symphonie fantastique et houleuse que n’eût pas reniée Berlioz ou bien Wagner.
La peinture a l'huile, traitée a la manière ancienne, offre une texture lisse et
sans accroc, glissante, sur laquelle i1 n'est pas possible de se raccrocher et qui
contraste avec l'idée d'enracinement, de force, de poids et de rugosité du sujet
décrit. La gamme chromatique, nuances de verts, de bruns, de bleus n'éclate
jamais vraiment; les couleurs, traitées a tonalite égale, restent étouffées,
sourdes, comme recouvertes d'un voile. Sans doute 1e feu est-i1 1e seul absent des
quatre éléments, mais i1 se situe trop haut, "au-dessus des aile", pour rentrer dans
le champ pictural.
Cette démarche de peintre peut se rapprocher de celle de musiciens, tel
Phill Glass, dont la musique répétitive peut paraitre linéaire et monotone pour une
oreille distraite. Pourtant, une attention plus soutenue permet d'en capter les
subtilités, les accidents, les silences. “Work in progress”, travail en perpétuelle
mouvance qui autorise son auteur aux allers et retours les plus fantaisistes. Créer
avant pour se rapprocher encore un peu d’une éventuelle origine; rajouter ou
enlever, revenir sur; attitude tout a fait utopique dans la réalité de la vie et qui
confère a cette démarche un caractère magique.
On comprend alors qu'ici la peinture ne soit que prétexte, support d'une
lente métamorphose qui s'élabore ailleurs, au cœur même de l'individu. Comme
l'œuvre de tout un chacun me direz-vous? Oui, mais ici c'est 1e principe même, le
concept qui est mis en évidence et les choix du thème, de la technique ne sont que
des adjectifs qui viennent définir 1a nature de cette métamorphose: aride, solitaire,
répétitive, lente... et aussi naturelle.
Il est évident que pour Livia le problème de la finalité de l’œuvre, de son
achevement ne se pose pas. Et pourtant chaque module de ce panoramique est
conçu comme une œuvre en soi, autonome, un peu comme nous essayons de
parfaire chaque minute de notre vie, même si elle reste inexorablement liée aux
autres pour former un tout.
Françoise Bataillon
Livia Ante, le feu sous la glace
Les femmes peintres, sauf quelques rares exceptions, sont souvent
assimilées à de charmantes personnes qui, durant leur longues heures d'ennui,
taquinent gentiment l'aquarelle. Livia Ante n'est pas de celles-là.
C'est un peintre. Forte, brutale, sensuelle, ses toiles lui ressemblent. Elles
sont son essence vitale. Belle, troublante, elle captive le regard, l'émotion autant
que ses tableaux. Sa voix est mi-rocailleuse, mi-caressante. Danoise d'adoption,
elle vit entre Nasksov et Roquefort-des-Corbières. Dans les années 70, cette
voyageuse impénitente dépose ses cartons, son esprit, ses valises à Paris. Puis,
elle fait partie de cette mouvance qui descend dans le Sud. Elle fait partie des
créateurs de la Forge à Sainte-Colombe sur L'Hers.
L'état pur
Rapidement étouffée, essoufflée par l'identité du groupe, elle s'installe dans
son propre atelier à Roquefort-des-Corbières. Peindre, c‘est son souffle, son cœur,
son sang... Elle ne s'arrête jamais.
Dans son travail, l‘idée est là, l'histoire s'inscrit mais l'instinct, 1' émotion,
une sorte d'état de grâce prennent le dessus. Livia ne cherche pas à délivrer un
message politique ou social. Son travail c'est son visage intérieur. Reflet de son
identité sans superflu, à l'état pur... Livia parle un français exquis, précis mais
comme beaucoup de créateurs, elle a du mal à parler de son travail.
Indépendante, elle a déposé ses toiles de ces cinq dernières années dans
autant de pays. Cette exposition à la Maison du Chevalier lui tient à cœur. C'est un
come-back après la naissance de son fils.
Pour Livia Ante, fière et libre, l'art n'est pas mort, il est bien vivant. C'est
une évidence. Comme elle le dit si bien. "L'art est inhérent à l’homme. Il faut que
cela sorte de l’artiste. C’est vital, c'est une nécessité spirituelle. Cela ne s’explique
pas."
Je suis
Entre deux terres
Livia n'est pas une paysagiste. Si sa main reconstruit les arches des églises
perdues, le Chemin des sorciers, les cascades fascinantes de Norvège, son esprit
est un éclair brillant qui trace sur la toile des cathédrales.
Ses tableaux, Livia les met au monde, n‘importe où. Toujours entre deux
terres, ses toiles sont sûrement le lien essentiel qui la relie au reste de l'humanité.
Chaque tableau est une naissance. Un enfant qui ne lui appartient pas,
qu'elle livre au reste du monde. Terriblement vivante, Livia Ante aime
irréversiblement les moindres plaisirs de la vie. Elle les consomme sans
contrainte, sans modération.
(Le Monde, Carcassonne, 9 mai, 1997)
